
Hors-Saison
Escapades loin du tumulte du monde...
Semaine 24 (Partie 2) : Into the Wild
Après un rapide passage à Invercargill nous filons vers Bluff d'où part le bateau pour l'île Stewart. Nous nous y prenons au dernier moment (nous voulions être sûrs d'avoir une météo clémente) mais il y a encore plein de place, la haute saison est terminée. Nous laissons donc le van dans le parking sécurisé du port et embarquons dans le petit ferry. La traversée est un peu remuante et certains passagers ne se sentent pas très à l'aise.
Nous arrivons sur l'île Stewart en fin d'après midi. Le port est tout petit et se situe face à l'unique village de l'île : Oban. Cette île est très préservée : 350 habitants, 28 kilomètres de route et 85% de la surface classé en parc National. Le paradis. Nous avons prévus de passer la première nuit dans un des deux seuls petits campings de l'île. Celui-ci, sobrement nommé « Allan's campsite » est un peu excentré et nous marchons 2 kilomètres avant de le rejoindre. Sur la route nous croisons quelques White-tailed Deers, des sortes de cerfs qui comme leur nom l'indique ont une longue queue touffue et blanche sur le dessous. Quand nous arrivons il fait nuit noire et il n'y a pas un chat. Nous grimpons les marches de la maison pour frapper à la porte de ce qui semble être la cuisine du propriétaire. C'est allumé et nous entendons une télévision mais personne ne répond à nos coups répétés. Nous commençons à désespérer de trouver quelqu'un. Loïc finit par téléphoner et quelqu'un dans la maison répond. Il finit par nous ouvrir sans comprendre tout à fait que la personne qu'il a au bout du fil est la même que celle devant la porte ; ce qui donne lieu à une situation cocasse où nous n'osons pas raccrocher tandis qu'Allan nous demande d'attendre un instant car il doit aller ouvrir la porte... Il finit par comprendre et nous explique, désolé, qu'il est sourd comme un pot et ne s'attendait pas à voir du monde en cette fin de saison. Comme il craint des inondations sur son terrain, malgré le fait que la nuit s'annonce assez claire, il nous ouvre un de ses petits chalets en construction et nous fait un prix spécial. Nous papotons un peu, ou plutôt nous hurlons un peu avec notre hôte et il nous apprend que nous accueillir à notre retour de randonnée pourra être un peu compliqué car il doit se rendre à Christchurch pour s'acheter... un sonotone.
Le lendemain nous quittons le sympathique Allan et nous arrêtons en chemin au bureau du DOC. Nous devons acheter nos places en camping pour la randonnée que nous avons prévue de faire. Il s'agit d'une Great Walk (ce sont en quelques sortes les randonnées principales du pays, au nombre de neuf) de trois jours nommée la Rakiura Track, du nom maori de l'île signifiant « l'île au ciel rougeoyant » du fait de ses levers de soleil colorés et surtout des aurores australes que l'on peut parfois apercevoir la nuit. Nous parvenons à réserver le camping pour la première étape, à Port William, mais le camping est complet pour la seconde étape, North Camp, et nous devons réserver deux lits dans le refuge adjacent.
Nous partons enfin vers 10h. Il nous faut bien 1h de marche pour atteindre Lee Bay, le point de départ de la randonnée. Nous y rencontrons Luciana, une jeune italienne qui entreprend également la marche. Cette première journée est idéale. Il fait beau et doux et le chemin longe des criques de sable fin et d'eau turquoise qui semblent n'avoir jamais vu un homme. Quelques ponts de bois sans âge nous permettent de traverser des bras de mer ou de petites rivières colorées de rouge par les tanins des grandes fougères qui se décomposent. Nous avons l'impression de marcher dans un décor de Tropiques alors que nous sommes sous les 40e rugissants ! De très rares vestiges corrodés de l'industrie du bois nous rappellent cependant que les hommes ont vécu et travaillé dans ces forêts au début du siècle dernier.
Nous arrivons au camping de Port William assez tôt dans l'après-midi (les étapes sont toujours assez courtes sur les randonnées du pays) et avons donc l'occasion de nous balader délestés de nos sacs. Le camping est idéalement situé dans une petite baie. Un petit chemin dans les bois mène en cinq minutes au refuge et, au milieu, une intersection permet de se rendre assez rapidement sur une courte jetée en bois. Nous avons un grand projet pour ce soir : rencontrer enfin des kiwis ! L'île Stewart abrite la plus grande concentration de kiwis du pays. Mason Bay, que nous n'aurons pas l'occasion de voir, abrite même l'unique population de kiwis diurnes. Nous repérons donc les lieux et partons dîner en attendant la nuit. Celle-ci est un peu longue à venir, surtout quand nous n'avons que deux options : attendre dehors en admirant la vue et en servant de dîner à des millions de sandflies ou dîner tristement dans la tente. Nous tentons la première option avant de nous rapatrier finalement dans la tente en nous grattant avec fureur.
Quand la nuit tombe, nous sortons en reconnaissance. La forêt est encore silencieuse, il est trop tôt. Ce n'est que vers 20h45 que les premières chouettes se font enfin entendre, annonçant le début d'une nouvelle journée que nous ne voyons jamais : celle des animaux nocturnes. Quelques oiseaux inconnus font parfois retentir un cri aigu et nous savons que c'est maintenant l'heure de la chasse.
Nous nous installons silencieusement sur une zone herbeuse en lisière de forêt. En effet, que ferions-nous si nous étions des kiwis qui avaient un petit creux au réveil ? Nous irions en lisière de forêt (pas trop loin pour vite pouvoir filer se cacher) pour farfouiller avec notre bec dans l'herbe moelleuse à la recherche de bons vers de terre bien juteux. Oui, c'est définitivement ce que nous ferions et nous sommes donc confiants. Il se passe une demie-heure sans que nous n'entendions quoi que ce soit de suspect. Nous avons éteint nos lampes et nous sommes aux aguets. Loïc me chuchote soudain qu'il a senti du mouvement derrière lui. J'entends en effet du bruit derrière et nous pensons tous deux que d'autres randonneurs peu discrets doivent sûrement fureter par ici. Je braque discrètement la lumière rouge derrière Loïc et quelle n'est pas ma stupeur de tomber littéralement nez à bec avec un énorme kiwi qui grattouille juste derrière nous. Celui-ci se trouve à environ un mètre de nous et fait une taille que je n'imaginais pas : environ 60 centimètres de long pour une hauteur d'une bonne quarantaine de centimètres. Loïc n'ose pas se retourner pour ne pas l'effrayer et doit se contenter de mes chuchotements surexcités « Oh mon dieu c'en est un ! Il est absolument énorme ! ». Il continue de grattouiller sans se préoccuper de nous. Il semble cependant nous avoir repéré (malgré mes chuchotements extrêmement discrets...) car il relève la tête dans ma direction. Cela ne semble pas l’émouvoir plus que ça et il nous contourne même. Loïc le découvre alors, tandis que l'oiseau intrigué lui renifle bruyamment le coude. Les kiwis ont la particularité d'avoir les narines tout au bout du bec et cela lui donne une allure très comique tandis qu'il nous renifle comme un petit chien. Il inspecte Loïc jusqu'aux pieds et en conclut qu'il n'est pas comestible. Tant pis, il continue donc tranquillement sa fouille un peu plus loin. Nous avançons discrètement en même temps que lui pour l'observer. Il est tellement drôle et étrange que nous ne pouvons pas nous empêcher de pouffer de rire. Il est dur d'imaginer sans le voir cet animal sorti d'on ne sait quel film de science-fiction : des moignons d'ailes complètement invisibles, de grosses fesses prolongées par de belles cuisses se terminant par de grandes pattes crochues. De l'autre côté, une petite tête marron prolongée par un immense bec se terminant par une grosse paire de narines. Pour résumer : oui, cet oiseau est une grosse paire de fesses avec une tête et un bec. Il est recouvert d'une épaisse couche de plumes brunes toutes fines et quand il s'ébroue on dirait une grosse fourrure toute douce. Sa démarche pataude serait comparable à celle de Baloo, dans le dessin animé du Livre de la Jungle. Bref, cet oiseau serait un roman à lui tout seul si on voulait le décrire fidèlement.
Notre ami repart un peu dans la forêt et nous l'entendons trifouiller dans les buissons sans le voir pendant une bonne demie-heure. Il ressort enfin et s'étonne de nous voir toujours plantés là. Nous sommes maintenant debout et il revient nous inspecter les chaussures en mettant parfois de petits coups de becs dessus pour en étudier le matériau. Le kiwi est quasiment aveugle et il compte énormément sur son odorat pour se repérer dans son environnement. Il retraverse la pelouse et finit par disparaître pour de bon dans la forêt.
Nous rejoignons enfin notre tente, complètement ahuris. Nous sommes conscients que ces rencontres surréalistes, avec des animaux improbables, dans la forêt, sous le couvert silencieux et secret de la nuit, sont des moments hors du temps dont nous nous souviendrons toute notre vie. Nous nous endormons, bercés par quelques cris perçants et lointains de ceux que nous imaginons être nos compagnons d'un soir.
Nous nous réveillons tôt le lendemain matin. Nous sommes encore émus de notre expérience de la veille (il faut dire que jusque là nous n'avons encore jamais rencontré un néo-zélandais ayant vu un kiwi en dehors d'un zoo). Nous nous rendons sur la plage où une douce lumière et un ciel coloré laissent présager un magnifique lever de soleil et une nouvelle belle journée. Nous nous préparons assez rapidement, remballons la tente et entamons la seconde étape de la Rakiura track. Nous rencontrons Luciana qui n'a pas eu autant de chance que nous la veille au soir et nous lui promettons de tenter la chasse au kiwi avec elle bien que nous ne serons plus dans des zones aussi idéales. La deuxième étape est agréable, mais un peu moins que la première. Il s'agit de couper dans la forêt pour atteindre une autre portion de côte. La forêt est très belle et remplie de vie. Fidèle à sa réputation, le parcours est parsemé de piscines de boue (raisonnables toutefois, nous avons vu des clichés montrant des randonneurs avançant sur des centaines de mètres avec de la boue jusqu'en haut des cuisses !), cela agrémente le trajet de quelques obstacles parfois difficiles à contourner.
Le refuge de North Camp est très agréable, perdu en plein forêt, avec vue sur les fiords arborés. Nous profitons avec plaisir de la lumière du soleil, après cette journée passée dans la pénombre de la forêt. Le soir venu, nous partons en exploration dans la forêt. Il souffle un vent très fort et il est difficile de différencier les sons de grattements d'animaux de ceux des craquements des arbres. Nous n'entendons pas un son d'animal, et dès le départ nous savons que nous aurons très peu de chances d'apercevoir un kiwi. Nous ne le disons pas tout de suite à Luciana pour ne pas trop la décevoir et tentons tout de même d'en trouver pendant plus d'une heure. Nous faisons finalement chou blanc et rentrons nous coucher.
Le troisième jour de randonnée promet de ne pas être aussi ensoleillé que les premiers et à peine une demie-heure après notre départ la pluie se met à tomber. Nous ne pouvons pas apprécier les successions de petites baies autant que nous le voudrions car dès que celles-ci apparaissent cela signifie également que nous sommes à découvert et nous nous empressons de retourner nous abriter sous les arbres. La pluie finit par s'arrêter mais nous sommes déjà mouillés et le temps reste maussade. Cela ne nous empêche pas d'apprécier la balade qui s'achève assez rapidement : il n'est pas 13h quand nous finissons enfin la boucle et retrouvons Oban. Un petit tour dans les bureaux du DOC nous rassure, la météo de demain sera beaucoup plus clémente, et cela vaudra donc le coup de se rendre sur Ulva Island. Cette île, un sanctuaire pour les oiseaux où tous les prédateurs ont été éradiqués, est située à 5 minutes en bateau de l'île Stewart, dans la Golden Bay. La traversée aller-retour ne coûte que 20$ par personne.
Nous nous installons dans le second camping de l'île et passons le reste de la journée au chaud et à l'abri de la pluie, dans le café du port.
Comme nous l'a promis le Ranger du DOC, le lendemain matin le soleil brille. Nous profitons tranquillement de la matinée et nous rendons à Golden Bay pour attraper le ferry de midi pour Ulva Island. Un petit bateau à moteur attend tranquillement au bout de la jetée. La baie est tranquille, les seuls bâtiments sont des petites cahutes de pêcheurs en bois. Dans une sorte d'abri-bus sommaire, est assise une femme aux longs cheveux bouclés et gris. Elle nous indique que c'est auprès d'elle qu'il faut « s'enregistrer pour la traversée ». Nous ne paierons qu'une fois arrivés sur Ulva Island. Elle nous confie deux cartes d'embarquement, les deux plus jolies que nous n'avons jamais vues, et nous demande avec une voix douce d'attendre le capitaine. Celui-ci arrive quelques minutes plus tard et il nous invite, ainsi qu'une jeune allemande, à grimper à bord, lui aussi avec gentillesse et douceur. C'est avec plaisir et surprise que nous voyons Luciana sauter dans le bateau et nous démarrons. Sur le chemin, le capitaine prend le temps de nous montrer les environs. Il ralentit soudain pour nous montrer un petit manchot bleu qui barbote tranquillement ! La vision est si furtive que Loïc la rate malheureusement. Je n'ai en fait que peu l'impression de l'avoir vu car un manchot qui nage ne ressemble pas vraiment à un manchot et je sais que sans l'intervention du capitaine j'aurai tout simplement cru qu'il s'agissait d'une sorte de petit canard....
Nous avons 4 heures avant le dernier départ du bateau. La balade sur l'île doit durer 2h selon les balises mais le capitaine nous prévient : à moins de ne jamais s'arrêter et de ne rien regarder cela durera en fait beaucoup plus longtemps !
Nous partons donc en exploration, accompagnés de Luciana. Les oiseaux sont ici rois et nous en voyons partout. Ils ne semblent même pas concevoir que nous puissions être une menace et dès que nous nous arrêtons quelques minutes des petits Robins viennent nous regarder avec intérêt, espérant que nous fassions tomber quelques miettes de nos en-cas. Nous faisons enfin connaissance avec le Kaka, perroquet endémique et en voie de disparition.
Alors que nous sommes arrêtés pour observer un couple de red-crowned perroquets, un Weka surgit soudain des buissons et s'avance sur le sentier, entre les pieds de Luciana. Il lui tourne un peu autour avant de marcher vers Loïc. Ne trouvant visiblement pas ce qu'il cherche il se tourne vers moi et tombe en arrêt devant les lacets de mes chaussures. Il les attrape avec son bec et se met à se battre avec. Le fait que je lui précise qu'ils ne sont pas comestibles ne semble pas le décourager et il essaie bien encore pendant quelques minutes avant de laisser tomber, un peu dépité, et de partir grattouiller mollement du bout du bec dans les fourrés.
Le temps passe très vite sur cette île perdue et paradisiaque et nous ne retournons au port qu'une dizaine de minutes avant de prendre le bateau de retour. La traversée est rapide, sans manchots ni albatros et nous filons sous une pluie fine récupérer nos sacs au camping car nous devons prendre le bateau pour South Island à 17h.
Celui-ci est quasiment vide et nous quittons l'île Stewart accompagnés par un superbe arc-en-ciel et le vol des albatros.





Nous sommes béats lorsque nous reprenons le sentier menant au camping. Nous marchons à pas de loups, guettant les sons. Nous savons maintenant qu'il nous faut guetter un son de grattement et de reniflement, et cela ne rate pas car nous en repérons un sur le sentier menant à la jetée. Nous l'empruntons en nous fiant à notre ouïe et finissons par repérer un second kiwi, plus petit que le premier (ce qui nous laisse penser que le premier était une femelle car elles sont censées être beaucoup plus grosses que les mâles), de la taille d'une grosse poule. Il fouille autour des racines d'un grand arbre et enfonce son bec dans un creux. Nous ne voyons alors plus que ses fesses grassouillettes qui s'agitent en l'air. Il finit par ressortir de là, visiblement satisfait. Il nous repère alors et descend sur le sentier pour se livrer lui aussi à une petite inspection de routine. Ayant décidé que nous (ou du moins nos chaussures) n'étions ni menaçants ni particulièrement intéressants, il retourne vaquer à ses affaires jusqu'à finalement s'enfoncer à nouveau dans la forêt.
Cliché extrêment net d'un kiwi en pleine inspection de chaussure...
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Quand nous arrivons en vue de Ulva Island nous sommes tout à coup surpris par des dizaines d'Albatros de Buller qui gravitent autour du bateau de pêche venu déposer un groupe de gamins. Les oiseaux, immenses, (ils pèsent de 2,1 à 3,4 kg pour une envergure de 200 à 213 cm) volent autour de nous et atterrissent en douceur au bas du bateau. Certains se dirigent si vite droit sur nous qu'il nous semble qu'il vont atterrir sur nos genoux. Joueurs, ils volent au ras de l'eau et forment un sillon du bout de l'aîle avant de remonter un peu, puis de replonger pour dessiner à nouveau des formes éphèmères sur l'eau d'un bleu électrique.

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